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« Le sentiment de désillusion qui frappe les jeunes diplômés d’aujourd’hui sur le marché du travail ressemble fort à celui des jeunes romantiques du XIXᵉ siècle »

Il est 7 heures, Jules se réveille et a envie de vomir. Qu’a-t-il fait hier soir ? Il a trop bu, comme trois ou quatre soirs par semaine. Il boit pour oublier son quotidien insipide. Et son « taf », qui le fait « gerber ». Ainsi commence « la confession d’un jeune du siècle », racontée par Marion Cina, Thomas Simon et Xavier Philippe, trois chercheurs dans un article sur le sentiment de « mal du siècle » des jeunes diplômés des grandes écoles de commerce et d’ingénieurs, publié en avril dans la revue Management.
Ce détour par la fiction et par la création du personnage de Jules (issus des entretiens avec les trente-cinq jeunes diplômés interrogés pour l’enquête) illustre, selon eux, le sentiment de perte de sens ressenti par de nombreux diplômés lors de leur arrivée en entreprise, une fois devenus cadres, manageurs ou ingénieurs. Occupant ce que, en d’autres temps, l’anthropologue américain anarchiste David Graeber (1961-2020) avait appelé des « bullshit jobs », ces emplois dénués de sens qui pullulent dans le capitalisme tertiaire.
Marion Cina, jeune chercheuse de 33 ans en sciences de gestion et enseignante à l’ISC Paris, explique le recours à la littérature et au romantisme pour tenter d’apporter un éclairage neuf et original sur ces pertes de sens contemporaines.
Nous avons tous les trois un goût prononcé pour la littérature, en particulier pour celle des XVIIIe et XIXe siècles. C’est un choix audacieux et subjectif, qui a été pensé pour piquer un peu les consciences. Cette approche fictionnelle et subjective permet de réfléchir au sentiment de désillusion qui frappe les jeunes diplômés d’aujourd’hui sur le marché du travail et qui ressemble fort à celui des jeunes romantiques du XIXe siècle.
Les organisations se présentent toujours sous une apparence de logique et d’ultrarationalité. Elles nient presque systématiquement qu’elles sont issues d’un esprit humain. Or ce point est crucial : les entreprises sont fondamentalement poétiques, puisqu’elles sont créées de toutes pièces par l’imaginaire d’un individu à un instant donné.
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